Sigiriya, Rocher du Lion, Sri Lanka

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Rédigé par Nathalie Cathala

Nomades dans l’âme, l’objectif et la plume de Nat se baladent partout : en voilier autour du monde, par les airs d’un continent à l’autre; par les routes sur les chemins du désert, en 4*4 (tente sur le toit), à vélo , à pied ou en paddle. Plume et objectif se rejoignent dans ce blog, pour partager leurs coups de coeur.

2 avril 2022

Sigiriya fascine par son esthétique unique : un monolithe sombre, presque inquiétant, jaillit d’un tapis forestier compact. L’histoire géologique et préhistorique du site mérite un léger détour, puis nous plongeons dans la captivante épopée donquichottesque de Sigiriya. Elle fut la capitale d’un seul roi : Kasyapa. Son règne, très court, est digne d’un péplum. Ambition, gloire, richesse, chevalerie, trahison, amour tissent la trame d’un destin hors norme.
Cette saga a façonné un joyau architectural et artistique sans égal.

 

Prêts à gravir 1200 marches pour découvrir cette pépite ?

Le Rocher du Lion
Insolente beauté et passé sulfureux

Éclairer l’Histoire

À 350 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer et deux cents mètres au-dessus de la plaine environnante, le rocher du lion se dresse tel un phare mythique.

Il y a plus de 2,5 milliards d’années, une importante activité magmatique érige des volcans. Lorsque les éruptions cessent, la pluie, les vents éliment les monts, et les pourtours des cratères s’effacent. Une vaste plaine se déroule au fil de l’érosion, laissant s’éparpiller de gros blocs de granite, vestiges des anciennes coulées de lave. La forêt recouvre bientôt roches et plaine. Mais deux irréductibles noyaux de magmas solidifiés se figent pour l’éternité au-dessus du flot végétal : Pidurangala et le rocher du lion. Le premier aux formes douces et harmonieuses passe presque inaperçu, tandis que le second à l’esthétique insolite capte toute l’attention.

Les fouilles archéologiques attestent d’une présence humaine millénaire ( entre 20 000 et 10 000 ans avant notre ère).

Des communautés de moines, occupant les grottes de la région au troisième siècle avant notre ère, ont laissé de nombreuses peintures rupestres .

On imagine la vie des moines ermites, trois siècles avant notre ère

Les itinéraires pour atteindre le sommet du Rocher du Lion sont multiples. Il faut se faufiler entre les blocs de granite, témoins de l’activité volcanique, gravir un labyrinthe d’escaliers qui mènent au pied des 1200 marches accrochées au monolithe. Un parcours que chacun peut adapter à sa curiosité. Nous sommes restés 7h30 sur le site. De quoi nourrir notre imaginaire…

Amours, gloire et cruautés

Corne d’abondance

Au Ve siècle de notre ère, Sri Lanka dispose de richesses immenses générées par sa position stratégique, au carrefour entre l’Orient et l’Occident, l’île est une véritable plaque tournante du commerce international. Les navires d’Égypte, de Rome, de Chine, entre autres, y font escale et contribuent à une prospérité économique durable.

Histoires de familles… recomposées

Tout va pour le mieux dans un monde pacifié. Lorsqu’une violente dispute fait dérailler le train-train familial. L’épouse de Migara, fille du roi se querelle avec la mère de son mari, la soeur du roi. Dhatusena tranche le différend en ordonnant l’exécution de sa soeur.

Laver son linge sale dans un bain de sang

Migara cherche à venger la mort de sa mère. Il se rapproche de Kasyapa et attise rancoeurs et frustrations accumulées depuis l’enfance. En 477, un complot se met en place. Le roi est renversé et emmuré vivant dans sa tombe. Selon les sources, l’acte barbare est commis soit par Migara, soit par Kasyapa.

Le roi Dhatusena gère les affaires du pays depuis la capitale d’Anuradhapura entre 459 et 477. Dans ses jeunes années, Dhatusena s’unit à une femme de caste inférieure dont il a un fils, Kasyapa. Lors de son intronisation, Dhatusena prend pour légitime épouse une princesse de sang royal dont il a un autre fils, Moggallana. Ce dernier sera l’unique héritier de la couronne royale, Kasyapa, en raison de ses origines modestes, est mis à l’écart du pouvoir. Dhatusena a également une fille qu’il marie à Migara, son neveu, fils de sa soeur. Migara est l’homme de confiance et le chef des armées de Dhatusena.

Le fils cadet du roi, Moggallana échappe à la mort et s’exile en Inde.

Péché capital

Kasyapa, honteux de son acte et désireux de racheter son parricide aux yeux du clergé bouddhiste et de son peuple, fait acte de contrition, il se montre généreux, il participe à de nombreuses oeuvres, suit à la lettre le cérémonial religieux. Rien n’efface son péché capital. Méfiant et taraudé par le remords, il quitte la capitale d’Anuradhapura et cherche, loin des masses désapprobatrices, un nouveau havre où asseoir son pouvoir.

Opulence, grandeur et démesure

Alakamanda, le rêve d’un roi

Pour oublier ses crimes et l’ostracisme, Kasyapa rêve d’un paradis. Il prend pour modèle, Alakamanda : une cité féerique posée sur un nuage. C’est dans la mythologie bouddhiste, le royaume de Kuvera, dieu de la richesse et de l’abondance. 

Kasyapa imagine de créer de toute pièce sa copie conforme. Il dispose d’une si prodigieuse richesse que rien ne s’y oppose. Il jette son dévolu sur la plaine de Sigiriya dominée par cet étrange mégalithe. Il mobilise plus de 100 000 hommes, des milliers de bêtes de somme et plusieurs centaines d’éléphants.

Un palais sur son nuage

Le rocher de granite noir est entièrement peint en blanc, afin qu’il ressemble à un nuage. Un pan de la falaise est transformé en un miroir éblouissant, rivalisant de lumière avec le soleil. Une partie de ce mur est encore visible. Au long des siècles, il s’est enrichi de 1800 citations, poèmes, commentaires divers laissés par les visiteurs depuis les temps immémoriaux.

A droite de la photo, sous la parois rocheuse, le mur est ce qui subsiste de cet incroyable miroir

Une gigantesque galerie de portraits à ciel ouvert

À mi-distance entre la base et le sommet des centaines d’artistes donnent naissance à la plus incroyable galerie de fresques du monde. Un anneau audacieux de 5600 mètres carrés ceinture le monolithe. Il dévoile les portraits de plus de 500 apsaras. 

Ces nymphes célestes aux couleurs vives ont peut-être eu pour modèles les concubines du roi. Leur silhouette dénudée, pulpeuse et sensuelle envoie du haut de leur balcon des fleurs délicates de lotus aux spectateurs de la plaine.

Légitimer son ascension céleste

Sur la face nord, une plate-forme naturelle accueille une guérite massive. Passage obligé avant l’ascension vers le palais royal. Kasyapa ne se contente pas d’un simple escalier de pierre. Il faut rester dans le ton !

Désireux d’effacer toute ambiguïté sur son règne, il fait construire, en guise de cage d’escalier, un énorme lion, de 35 mètres de haut, en position de sphinx. Ce lion est construit en briques, et recouvert de chaux. Les témoins de l’époque évoquent une vision de toute puissance.

Aucune chronique de l’époque ne mentionne le nom de « Rocher de Lion ». Ce nom apparaît près de 800 ans après l’abandon de Sigiriya sous la forme de Sīhāgiri (signifiant la montagne du lion) qui donne par la suite le nom que nous connaissons : Sigiriya.

La métamorphose du rocher, héritier des volcans déchus, est une référence aux chefs fondateurs du Sri Lanka. Vijaya (le victorieux), chef Sinha-la, débarque au Sri Lanka au VIe siècle avant notre ère. Le mot « Sinha-la » signifie « sang de lion » ou « descendant de lion ». Depuis les temps immémoriaux, le lion est l’emblème du pays. Il symbolise le courage, la liberté, et l’espoir. Le mot sinhala désigne aussi la langue parlée par les bouddhistes du Sri Lanka.

La cité idéale

Au pied du palais une oeuvre magristrale

En une petite décennie, les maîtres d’oeuvre de Kasyapa développent des prouesses technologiques, architecturales et artistiques hors pair. Si la transfiguration du rocher est la pièce maîtresse de l’oeuvre architecturale de Kasyapa, les aménagements des plaines sont à l’aune du palais céleste.

Au pied de la montagne-paradis s’étagent des jardins somptueux, des remparts, des douves. Il faut imaginer le luxe et le faste déployé sur 15 hectares : un dédale de fontaines, d’étangs, un réseau hydraulique novateur entouré d’une multitude de pavillons multicolores. Le reste de la cité idéale s’étendrait sur 40 voire 90 hectares. Une oeuvre architecturale spectaculaire dont nous ne connaissons à ce jour qu’une infime partie : à peine 20%.

Le faste d’antan a disparu,mais les vestiges témoignent de la créativité du roi Kasyapa. Démesure et ambition sont les architectes de ce site hors du commun.

Lorsque sonne le glas

Kasyapa règne 14 ans sur Sigiriya. Il laisse pour la postérité une réputation sanguinaire. Pourtant, malgré son crime, les chroniques évoquent un roi juste et bon pour ses contemporains. Il respecte le culte et accomplit assidûment ses devoirs religieux. Roi sensible, il encourage les beaux-arts et la poésie. Une âme d’artiste que les intrigues dynastiques et la trahison rattrapent promptement.

On prend les mêmes et on recommence

Migara, à l’origine du complot contre le père de Kasyapa, se sent à nouveau trahi, lorsqu’il est écarté de certaines cérémonies religieuses. Migara, vexé, quitte en douce le palais céleste et retrouve Moggallana, le demi-frère du roi exilé en Inde. Il l’encourage à revenir au pays. Lorsque Kasyapa prend connaissance du retour de son frère, il décide de l’affronter. Il fait appel à ses troupes et à son chef de guerre, Migara. Kasyapa fonce tête baissée dans le guet-apens tendu par son cousin. Réalisant au dernier moment la tromperie, Kasyapa se suicide d’un geste héroïque, il se tranche la gorge alors qu’il chevauche son éléphant de combat.

Retour à la case départ

Moggallana, respectueux de son frère aîné, lui offre une cérémonie funéraire royale. Il est probable que le stupa de Pidurangala, aujourd’hui en ruine, marque l’endroit où Kasyapa a été incinéré.

Moggallana, enfin sur le trône, retourne en sa capitale légitime d’Anuradhapura. Il n’abandonne pas complètement Sigiriya. Il y installe un monastère dont l’activité persiste jusqu’au XIIe voire XIIIe siècle. Par la suite, la cité idéale tombe dans l’oubli. Rongée par les éléments, envahie par la forêt épaisse, Sigiriya est dès lors le royaume de la faune sauvage pendant plus de 1300 ans.

Aujourd’hui, il n’y a plus dans les parages d’éléphants sauvages, de léopards ou d’ours, mais il reste quelques représentants de la faune animale aux abords de Sigiriya. 

Tandis que les marrais environnants accueillent des buffles pour leur sieste au frais, les douves sont appréciées des crocodiles et varans.

Après un oubli de 1300 ans, le retour à la lumière

Chasseurs d’éléphants et archéologues en herbe

En 1827, un jeune officier de l’armée britannique du nom de Jonathan Forbes arrive à Ceylan. Dans ses heures de liberté, il chasse l’éléphant. Ami de George Turnour, un fonctionnaire britannique, qui déchiffre les chroniques srilankaises, ils comprennent rapidement que les forêts épaisses du centre de l’île cachent une « cité perdue ». En 1931, Forbes découvre les ruines de Sigiriya. L’accès est si difficile qu’il ne revient qu’en 1933. Il décrit « une roche en saillie qui a été peinte de couleurs vives ». Il vient de mettre à jour les fresques de Sigiriya. De véritables fouilles du site commencent en 1895. Depuis Sigiriya ne cesse de fasciner, archéologues, scientifiques et visiteurs.

Ce qui en fait un site unique

Un palais à la gloire de son roi

La particularité de Sigiriya par rapport aux autres cités royales telles que Polonnaruwa, Anuradhapura, voire Kandy, c’est son palais érigé à la gloire d’un seul homme, sans référence à la religion. En effet, toutes les dynasties ont eu à coeur de défendre le bouddhisme, d’être les dépositaires fidèles de la dent du Bouddha, attribut du pouvoir royal. La corrélation étroite entre le pouvoir et la religion a volé en éclat lors du règne de Kasyapa. Libéré des contraintes cléricales, assuré d’une richesse illimitée, il a assouvi ses fantasmes, s’offrant un palais pour lui et son bon plaisir et non une « annexe tutélaire » de la religion.

La cage d’escalier de 35 mètres de hauteur, en forme de lion, ainsi que le mur-miroir géant sont uniques au monde. Les jardins et le réseau hydraulique sont parmi les plus vieux témoignages de ce type en Asie.

Sur 1.5 hectare, le plateau sommital du rocher est entièrement dédié au palais de Kasyapa. Les vestiges aujourd’hui attestent d’un opulence inouïe.

La cage d’escalier en forme de lion a disparu, construite en briques, étayée par des poutres de bois, en 1600 ans, la structure s’est écroulée. Aujourd’hui pour accéder au sommet, un escalier vertigineux fiché dans la montagne permet au visiteur d’accéder au palais céleste.

Un gigantesque livre pornographique

Autre singularité : les fresques sont le seul exemple d’art antique non religieux au Sri Lanka. De nombreuses figures féminines à caractère religieux existent, mais elles répondent à un standard strict édicté par le clergé. Les « demoiselles de Sigiriya » sont exceptionnelles par leur sensualité ostentatoire. Cette galerie est une sorte de livre pornographique à ciel ouvert. Le peuple srilankais étant traditionnellement extrêmement pudique, cet exercice ne s’est pas reproduit dans les dynasties antérieures ou postérieures.

Fouilles à perpétuité

L’énumération des extraordinaires réalisations de ce roi qui n’a gouverné que 18 ans n’est pas exhaustive. Ce joyau du Ve siècle recèle encore de nombreux mystères. Les archéologues et scientifiques exhument chaque année des ouvrages d’art et d’ingénierie de cette époque.

La suite en images et légendes

Retrouvez  tous les articles et vidéos sur le Sri Lanka  :
https://voyage.nat-et-dom.fr/sri-lanka/

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10 Commentaires

  1. Dom

    Même après y être allé, on apprend encore des choses à la lecture du blog. Que de recherches et de travail sur les photos. Bravo
    On se demande comment une cité de cette ampleur a pu disparaître et être perdue de la connaissance des générations suivantes.
    Lors du dernier voyage il était interdit de filmer et de prendre en photo les peintures, haut perchées, heureusement que 30 ans auparavant c’était encore possible.

    Réponse
    • Nathalie Cathala

      Oui, heureusement grâce aux photos papier j’ai pu documenter le blog. Sans cela, les photos d’apsaras n’auraient pu en faire partie
      C’était une déception, sur place de ne pouvoir les photographier.
      Nous n’avons pas compris pourquoi.
      je suis heureuse que tu aies apprécié ce blog qui effectivement m’a demandé de grosses recherches et a pris … « un peu » de temps 😉
      Merci

      Réponse
  2. Clara

    Un article totalement passionnant, comme toujours, Nat, extrêmement bien documenté, quel passé tumultueux que ce rocher du Lion que j’ai escaladé il y a 3 mois ! Des photos sublimes et quel plaisir de lire ta prose extrêmement bien écrite, juste avec les mots qu’il faut… MERCI, j’ai adoré, comme à l’accoutumée !

    Réponse
    • Nathalie Cathala

      Comme ça fait du bien de te lire à mon tour, … ça donne des ailes à ma plume pour d’autres histoires à raconter un images, sur le 1/3 restant du parcours

      Réponse
  3. Gerald Voghel

    WoW quelle extraordinaire récit, un pays qui m’est inconnu à part les noms présents et anciens. Et les photos rewow. Merci beaucoup

    Réponse
    • Nathalie Cathala

      Bonjour Gerald, bienvenue sur le blog, et merci de ce message, très heureuse que cet article vous ai plu

      Réponse
  4. fanfan

    Ton récit Nat il est époustouflant merci encore pour tous ces moments incroyables que que tu me fais vivre sur le blog…

    Réponse
    • Nathalie Cathala

      Merci Françoise de ton message, heureuse que ce récit t’ai plu… à bientôt pour la suite

      Réponse
  5. favier

    Bonjour ,je voudrai savoir comment le rocher du lion a perdu sa tete ,cela serait du a l’erosion ?Merci de m’eclairer .

    Réponse
    • Nathalie Cathala

      Très bonne question, ne voulant pas raconter de bêtises, je vais me pencher sur la question
      et si je trouve réponse, je reviendrai

      Réponse

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