Aux confins des convoitises
Salses occupe dès l’Antiquité une place stratégique sur la voie domitienne (via Domitia) reliant ce qui n’était pas encore « la France » et « l’Espagne ». Au cœur du Roussillon, ballottée d’une couronne à l’autre, la forteresse devient un élément indispensable du pouvoir ibérique. Aujourd’hui, elle n’a plus à lutter contre les tirs croisés, mais contre les affres du temps. Ce qu’elle fait avec prestance.
En faisant le tour par le chemin de ronde à l’extérieur du fossé, je lui trouve, par endroits, des petits airs de Carcassonne.
Vidéo : visite de l’extérieur de la Forteresse
Le Roussillon : français ou espagnol?
Commençons de suite par les questions qui fâchent …
Le comté de Roussillon (en catalan comtat de Rosselló) apparaît entre le Ve et VIIIe siècle comme une subdivision administrative du royaume wisigoth (418-720). Les Arabes, installés dans la péninsule ibérique depuis 711, s’emparent en 720 de la région. Pépin le Bref galvanisé par le succès de son père à Poitiers libère le Roussillon en 759. Puis, sous Charlemagne, c’est au tour de Gérone en 785, et Barcelone en 801. Dès lors, un vaste territoire qui englobe le Roussillon et la « Catalogne » entrent dans le giron des Francs, c’est ce qu’ils appellent « la Marche de l’Espagne ». Territoire, sans cesse harcelé par les Maures.
Jusqu’en 1172, le Roussillon sera géré par une succession de comtes nommés par les dynasties carolingiennes, puis capétiennes. Le pouvoir « central » est beaucoup trop éloigné géographiquement pour asseoir son autorité. Les comtes successifs prennent des libertés et habitudes « indépendantes ». Ils obtiennent que leur charge soit transmissible par voie successorale.
En 1172 s’éteint le Comte Girard II de Roussillon, il meurt sans héritier et lègue le Roussillon à Alphonse II d’Aragon.
Ce dernier possède par « héritages » familiaux, la Provence et l’Aragonais-Catalogne. Entre les deux, le Roussillon lui offre une passerelle indispensable. Tout comme Girard, Alphonse II est « officiellement » sous la coupe du roi de France, il s’en détache en 1180 au conseil de Tarragone où il interdit de dater les actes de l’ère du roi de France. En Roussillon, Alphonse II fait fortifier la région. Il devient le premier « comte-roi » d’Aragon.
Alors que le Roussillon était situé depuis l’Antiquité dans la Gallia et non dans l’Hispania, le premier comte-roi Alphonse II est à l’origine de l’intégration du Roussillon aux monarchies catalano-aragonaises puis espagnoles.
Cette année 1172 et ce legs marquent un tournant décisif dans l’Histoire du Roussillon.
Passons rapidement sur les trois siècles qui suivent cet héritage. L’éphémère royaume de Majorque (1276-1344) renoue des relations plus paisibles avec les couronnes de France. La Frontière perd son caractère défensif. Aprèsr la disparition du royaume de Majorque en 1344, le Roussillon est à nouveau absorbé par les rois d’Aragon. La frontière, située à Salses, est régulièrement attaquée par les troupes françaises. Un vieux château aux bases gallo-romaines, situé à 250 m de l’actuelle forteresse, a résisté jusque là.
En 1492, la Reconquista parachevée avec la reddition de Grenade ainsi que la guerre de succession de Castille (1476) ouvrent la porte à une politique militaire ibérique qui attise les dissensions avec son voisin. Désormais, l’Espagne réunifiée va dominer la chrétienté occidentale. Elle tourne les yeux, vers la France qui est encore la « première force occidentale militaire » selon Machiavel. Les Rois Catholiques analysent ses points faibles et décident de s’y attaquer.
La frontière du Roussillon devient un enjeu stratégique pour les deux camps.
Vidéo : visite de l’intérieur de la Forteresse
L’Espagne déclare la guerre à la France en 1495.
Dans ce contexte, les Rois Catholiques commandent à Francisco Ramiro Lopez, une forteresse qui tiendrait le rôle de verrou aux portes de leur royaume. Le génial concepteur avait déjà eu l’honneur de restaurer et de fortifier l’Alhambra.
Sa mission consiste à dresser l’état des lieux des fortifications sur la frontière, et à renforcer la position de Salses. Les Rois Catholiques demandent une « construction capable de tenir un siège de trente ou quarante jours », période nécessaire à l’arrivée de renforts depuis la Castille. Le « commandeur Maître Ramiro » s’exécute pendant une trêve en 1497.
Une forteresse d’avant-garde au rôle de blocage et de dissuasion
Ramiro décide, malgré la présence de marécages, d’enfouir la forteresse dans le sol, ce qui nécessite, à la fois, des travaux d’assainissement, dans un milieu marécageux et de terrassement. La construction tient compte de l’avancée des moyens militaires, notamment avec l’apparition en 1450 du boulet métallique. Enterré, le château résiste mieux aux tirs rasants. Le rempart atteint 12 m d’épaisseur. Le corps de place est entouré d’un fossé de 12 à 15 mètres de largeur, pour 6 à 10 mètres de profondeur. Aux angles, quatre tours circulaires sont percées de canonnières. Car la meilleure façon de répondre au canon… c’est le canon!
En 1503, la forteresse nécessite encore quelques aménagements qui se poursuivront plus de 40 ans. Pourtant, elle doit faire face à son premier siège. Ce baptême du feu permet d’en corriger les défauts et d’en faire une véritable machine de guerre, avec ses centaines de « bouches à feu », ses 300 cavaliers et une organisation militaire implacable. Entre 1503 et 1642, Salses subit une longue série de prises et reprises par les deux camps.
Les Français la reprennent une dernière fois en 1642.
Le traité des Pyrénées de 1659 redessine les territoires
La forteresse perd son caractère stratégique. À partir de 1691, elle est partiellement restaurée par Vauban. Richelieu a même pensé la démanteler. Seul le coût de la destruction l’a arrêté.
Une forteresse unique et exceptionnelle
Le caractère exceptionnel de la forteresse de Salses a traversé le temps. Maître Ramiro est un véritable précurseur. Il fait jaillir de terre une forteresse à bastion angulaire et terrassé dont la formule architecturale ne se généralisera que 30 ans plus tard. Salses est une forteresse de transition, entre la fin des châteaux forts du Moyen-Âge et le début des bastions de l’ère moderne.
En outre, c’est la première fois dans l’histoire des fortifications occidentales que l’eau est captée, conservée et utilisée à des fins domestiques et militaires. Hommes de garnison et animaux pouvaient survivre à l’intérieur de l’enceinte sans apport extérieur d’eau. S’appuyant sur les connaissances et des techniques qu’il a observées lors de ses travaux de restauration de l’Alhambra, Ramiro, le génial architecte, conçut un système efficace de captage de l’eau s’écoulant des résurgences karstiques des Corbières. A partir de la chambre des vannes (vidéo intérieur du château), trois canalisations desservent la cuisine et l’étable, les citernes situées sous le donjon et la rigole de la galerie d’escarpe. Des petits bassins de filtrage et de décantation sont encore visibles dans le fossé intérieur du réduit.
La forteresse de Salses, témoin d’une époque tumultueuse, est la gardienne silencieuse des récits d’antan. De ses pierres émane une histoire riche et complexe, entrelaçant les destins de la France et de l’Espagne. Chaque visite nous invite à méditer sur les caprices de l’Histoire et l’ingéniosité humaine. Son caractère unique, continue de nous rappeler la ténacité et la vision de ceux qui l’ont érigée et défendue.
J’avais déposé un commentaire il y a quelques temps mais visiblement cela n’a pas fonctionné..
Superbe reportage ce site est somptueux ! Merci pour l’histoire ! Magnifique travail ! Je vais partager le lien à des amis, Noelie et Ugo..
Ho super, avec plaisir. Et Heureuse que l’histoire de cette petite forteresse t’aie plue