Au programme : 232 km de piste pour rallier les massifs de l’Erongo et du Brandberg. Ce dernier abrite le plus haut sommet de Namibie, mais surtout les éléphants du désert. Nos chances de les rencontrer sont minces. Trop chassés, victimes des guerres à la frontière de l’Angola, martyrs des agriculteurs, cibles des amateurs d’ivoire, la population de pachyderme est ténue et s’éparpille sur les vastes régions désertiques du Damaraland et du Kaokoland. La chance nous sourira pourtant. Voici le premier épisode d’une escale qui fut riche en émotions.
Bonjour,
Quittant nos amis Sans (Bochimen) d’Omandumba, et le risque croissant d’une attaque de léopard sur le camp, nous nous élançons pour une journée de piste, qui ma foi… n’est pas trop mauvaise, ou « moins pire » que toutes celles que nous avons empruntées depuis maintenant deux semaines. Celle-ci s’interrompt le temps que nous traversions l’étonnante ville d’Omaruru. Tellement verte! Nous y effectuons un arrêt ravitaillement et remplissage des réservoirs.
Du vert… de trop !
Quelle n’est pas ma surprise de découvrir une végétation luxuriante qui orne les allées d’une belle route en bitume, et … dans les chasses d’eau et robinets des toilettes publiques : pas une goutte d’eau. Finalement ça me rassure « un peu », rien n’est plus consommateur que ces salles d’eau aux robinets qui fuient. Néanmoins, dans un pays qui doit vraiment faire attention à ses ressources la débauche de végétation entretenue par l’humain me serre toujours le coeur. Est-ce bien utile? Je ne cesse de marteler ce message, mais tout cela n’est après tout qu’une question d’éducation de la population et des visiteurs! Si ces derniers sont prévenus : « vous venez en Namibie? Adaptez-vous! Ne demandez pas de piscine, pas de jardins fleuris, pas d’eau à volonté, pliez-vous aux lois de la nature, ce sera une belle leçon de vie! »… Je suis certaine que le voyage pour tous aurait une autre saveur ! Celle de l’excellence à s’adapter, celle de la fierté de n’avoir pas entamé les ressources. Bon OK, ce n’est pas le diktat de l’écotourisme, tout le monde ne doit pas se suffire d’une tente et d’un bidon d’eau de 25 litres d’eau pour l’usage courant… Mais un effort consenti pour découvrir et vivre à l’aune d’un pays, c’est ça le voyage ! Non?
Ne pas se laisser décourager et attendre la « montagne qui flamboie »
Revenus sur la piste, le paysage est parfois démoralisant, inhospitalier. Les premiers villages himbas s’éparpillent dans le désert. Tandis que nous passions des jours sans voir personne dans le sud du pays, depuis que nous remontons vers l’Angola nous croisons sporadiquement des personnes sur la piste : bergers ou Himbas. Ces derniers attendent au bord de la piste avec des bidons, demandant de l’eau. Le conseil prodigué par nos amis rencontrés plus au sud était de ne jamais s’arrêter. Tous les villages himbas disposent de réserves et de sources d’eau. Nous nous conformons aux exhortations à contrecœur. Il n’est pas dans nos habitudes de refuser de l’aide aux populations que nous croisons dans nos voyages. Nous comprendrons quelques jours plus tard que cette préconisation est le gage de notre sécurité…
La mendicité et les paysages inhospitaliers me feraient presque regretter les belles pistes solitaires du Kalahari, si radieuses. Mais à l’approche du massif du Brandberg, tout change et s’illumine. La piste divise le ciel entre orage et soleil de plomb, les contrastes sont saisissants. Le massif du Brandberg est magnifique. Tout comme l’Erongo il dessine un cratère érodé. Son nom signifie en Afrikaans « Montagne de feu ». Cette dénomination qui figure aujourd’hui sur les cartes est peut-être inspirée par le nom que lui donnèrent les Damaras : « Dâures », la montagne qui brûle. Quant aux Herero, ils lui préfèrent le nom de Omuluruvaro, qui signifie « montagne des dieux. » Quoi qu’il en soit, au coucher du soleil, tout s’embrase!
Un environnement hostile
Le massif couvre une surface de 450 km², il abrite le plus haut sommet de Namibie, soit le Königstein (Pierre du Roi) qui gravite à 2573 mètres. Il se voit de loin, car toutes les montagnes du Damaraland sont des Inselbergs (Montagnes-îles) plantées sur des plaines d’altitudes dont nous avons largement parlé dans les précédents blogs. Ici, comme dans l’Erongo les peintures rupestres laissées par les Sans (Bochiman) sont légions. On en dénombrerait 45 000 réparties sur un millier de grottes ou de parois rocheuses. Néanmoins, nous ne venons pas ici, pour voir la célèbre « dame blanche ». Nous sommes repus de témoignages de la préhistoire. Nous venons ici, pour assouvir une curiosité bien particulière!
En pénétrant dans la région aride et sauvage du Brandberg, nous avons peine à croire que cette région abrite une faune d’herbivores tels que les rhinocéros noirs, des antilopes (Kudu, oryx, springbok,steenbok, klipspringer) des zèbres, des damans, des civettes, des autruches, et bien sûr les éléphants pour lesquels nous effectuons cette escale. Lorsqu’il y a herbivores, les prédateurs suivent, comme les léopards et guépards. Les lions du désert se « baladent » plus haut au Nord vers la Skeleton Coast.
La région est sillonnée de rivières asséchées dont l’Hoarusib, l’Hoanib, l’Huab, l’Aba-Huab, l’Ugab, où nous établissons notre campement. Ces rivières ne sont alimentées que quelques jours par an. Pourtant, de véritables oasis se sont créées sur les berges et dans les lits de ces rivières. Un tel miracle est rendu possible par les eaux de ruissellement : des milliers de ruisseaux ramassent les pluies qui s’abattent brusquement, sporadiquement et capricieusement sur les falaises du Grand Escarpement, situé à l’est de la région. Ainsi, parfois sans voir la pluie, les bassins se remplissent brutalement. L’eau s’immisce dans les sous-sols, créant des zones humides résiduelles où une végétation adaptée (Accacias, tamaris, quelques herbacées) devient le garde-manger de la faune.
Conflit d’intérêts
La faune n’a nul autre choix que de migrer en permanence, constamment à la recherche d’eau et de nourriture, ingrédients de sa survie si difficiles à trouver dans ce contexte désertique. Les antilopes arrivent à cohabiter avec l’humain, pour qui les réserves d’eau sont également primordiales. Les rhinocéros noirs bénéficient, grâce à un plan d’aide gouvernemental, de la surveillance de la population locale qui les protège contre le braconnage étranger. Quant aux prédateurs, lions du désert, léopards, guépards, ils sont en conflit avec les éleveurs, dont ils prélèvent quelques bêtes régulièrement. Les lions du désert sont en voie d’extinction, suivis de près des léopards et des guépards.
Les éléphants engendrent des réactions tout à fait différentes, en raison de leur comportement particulièrement envahissant. Mais avant de parler du conflit d’intérêts qui oppose les hommes aux éléphants, essayons de comprendre le mode de fonctionnement de ces grands pachydermes, qui après tout « étaient là avant l’humain »!
Pas d’autres choix que la migration
Si l’humain adopte la sédentarisation grâce aux technologies modernes de forage et d’agriculture et d’élevage en milieu hostile, les éléphants du désert sont en perpétuel mouvement. Dans les années 80, un scientifique a observé que la migration des éléphants s’étendait du Damaraland jusqu’à l’Angola. Ils parcouraient à l’époque plus de 800 kilomètres du Sud ou Nord et inversement suivant le rythme des pluies, la croissance des végétaux, leur renouvellement, et le murissement des fruits et des graines. Malheureusement, la guerre en Angola, et le braconnage qu’elle engendra sur les rives de la Kunene qui marque la frontière entre la Namibie et son voisin décimèrent ce peuple migrateur. Néanmoins, Keith Leggett (biologiste spécialisé dans le suivi des grands mammifères en zone aride) a observé grâce aux informations diffusées par le collier GPS d’un grand mâle solitaire qu’il avait récemment rallié la Skeleton Coast (rives de l’Atlantique) à Etosha, centre du pays, parcourant plus de 400 km. Étonnant voyageur solitaire !
De façon plus régulière, les éléphants font des allées et retours entre les différentes rivières éphémères. Ils effectuent en famille des trajets récurrents de l’ordre 70 km. Les pachydermes sont à la recherche des graines mûres d’acacia albida (Faidherbia albida). Ces graines se trouvent le long des rivières. Ce détail sera d’une grande importance pour nous, et influencera le cours de notre voyage (voir prochain épisode).
Les éléphants suivent le lit des rivières asséchées pour se déplacer et s’y nourrissent en permanence. Lorsqu’ils décident de passer d’une vallée à une autre, ils doivent traverser les longues plaines arides et sans ombre que sont les hamadas. Ils effectuent ce trajet d’une traite et de nuit, afin d’éviter les grosses chaleurs et l’insolation.
Outre les graines succulentes des acacias, les éléphants se nourrissent de jeunes pousses dont ils raffolent. Mais il y en a si peu souvent! Ils se contentent alors d’herbes hautes, de graminées, d’arbustes, d’arbres, d’écorces, de fruits (rarement). Les mâles consommeraient jusqu’à 250 kilos par jour. J’avoue qu’en découvrant ce chiffre, je me demande où ils prélèvent chaque jour tant de nourriture! La trompe d’un éléphant aspire 15 litres d’un coup. Il peut ingurgiter lorsque les conditions le permettent jusqu’à 150 litres d’eau en une journée. Mais les éléphants du désert ont appris à se passer d’eau pendant plusieurs jours. Pour trouver les sources d’eau, les éléphants ont également appris à « forer » à l’aide de leur trompe des trous dans le sable et savent exactement où l’eau jaillira !
Fascinante adaptation de ces animaux plus communs aux brousses épaisses et généreuses qu’aux déserts. Longtemps les scientifiques ont cru que l’éléphant du désert était une sous-espèce de leurs collègues des régions humides. Une étude récente a démenti ce point. Le Loxodonta africana s’est adapté aux conditions les plus arides, tout au plus ils présentent une silhouette plus « svelte », des pattes plus hautes, et des pieds plus évasés afin de marcher plus facilement sur le sable.
Cohabitation douloureuse
À présent que nous avons planté le décor des habitudes migratrices des éléphants, voyons ce qui se passe dans les villages.
Il n’est pas rare de voir un troupeau d’éléphants surgir dans un village, ou un complexe hôtelier, et détruire les tuyauteries afin de se servir dans la réserve d’eau. Certains hôtels tolèrent le présent aux abords des piscines qui constituent une gamelle fort pratique ! S’ils s’en tiennent à la « vidange du réservoir » c’est « moins pire », mais souvent les éléphants font irruption dans les habitations si fragiles qu’elles se laissent détruire de quelques coups de trompes. L’éléphant adore se gratter aussi, n’évaluant pas la robustesse des murs, un coup de cuisse, et le logement s’écroule! Au passage d’un troupeau d’éléphants un village peut se voir complètement détruit. Ces grosses bêtes ne font pas la distinction entre une école pleine d’enfants apeurés, des regroupements d’agriculteurs ou des maisons isolées, et leur milieu naturel, leur seul but est de trouver de l’eau et de la nourriture. En somme, ils ne sont pas différents des humains, et adoptent la méthode du « pousse toi que je m’y mette, sans trop faire attention aux conséquences! ».
La population humaine s’est établie dans le Damaraland et dans le Kaokoland sur la route des éléphants. Lors des grandes migrations des mammifères, ceux-ci ne restaient pas longtemps sur une zone la laissant se renouveler avant d’y revenir. Puis les chamboulements historiques de l’Humanité, les guerres, le braconnage, l’occupation des lieux ont obligé les éléphants à revenir dans le sud de la région et à limiter les déplacements. Entre temps, les hommes oubliant que c’était la Terre des éléphants s’y sont installés.
Le problème se résoudra peut-être par l’éducation des populations concernées. Si les visiteurs étrangers comme nous attendent impatiemment la rencontre avec les éléphants, la population locale la craint, et… ils en viennent à détester les éléphants. Les associations en charge sur place de protéger les dernières familles de pachydermes survivantes ont mis en place des programmes éducatifs, afin que la population humaine parvienne à gérer son quotidien avec ces contingences et nécessités environnementales. Car dois-je le rappeler? La population humaine dépasse 7 milliards d’individus, tandis qu’il ne reste que 300 000 éléphants en Afrique, dont 600 survivants, dans le désert du Namib.
Les étudier pour les sauver
Les scientifiques sont au chevet des éléphants et espèrent sauver l’espèce de la disparition totale. Pour ce faire, certaines études paraissent farfelues, d’autres plus utiles… Il en est une qui m’a laissée perplexe.
Une théorie à débattre : l’éléphant météorologue
Entre 2002 et 2009, des biologistes ont équipé les éléphants de dispositifs de repérage. Chaque animal était membre d’un troupeau distinct, qui se déplaçait dans des zones différentes. Ces capteurs GPS ont mis l’accent sur des changements brusques de direction, et sans raison apparente. L’analyse des précipitations et des déplacements des pachydermes a induit un corollaire. Sept années de suivi tentent à démontrer que les éléphants « entendent » les pluies jusqu’à 240 kilomètres ! À présent les biologistes travaillent à découvrir comment les éléphants s’y prennent pour détecter des pluies aussi lointaines. Ils supposent qu’ils sont capables d’entendre les coups de tonnerre ou la pluie frapper le sol. Des études précédentes ont prouvé que les éléphants perçoivent les sons basse fréquence, qui porter sur de longues distances. Ces travaux ont une importance non négligeable. « La protection et la conservation des éléphants sont un enjeu écologique important. Dans cette optique, connaître les habitudes de déplacement des groupes d’éléphants est essentiel. » (Science et vie)
Notre expérience
À notre arrivée au pied du Brandberg, nous nous installons sur les rives de l’Ugab asséché. Après repérages, nous partons vers le massif, mais il est trop tard pour visiter la grotte qui abrite la peinture rupestre de la White Lady. Les guides nous sollicitent pour rentrer chez eux, et notre 4*4 sert de « bus » collectif. Dom voit les pneus s’infléchir sous le poids et fronce les sourcils. À l’arrière 4 personnes, sur mes genoux, une jeune fille et autour de la voiture accrochées à la tente, 4 autres personnes… Le 4*4 tient le coup et nous passons devant des habitations typiquement « locales » où chacun récupère ce qu’il trouve pour se créer son sweet home.
Au soir nous installons la tente. Elle a un franc succès, nous voyons défiler biquettes, vaches, vaux, ânes, chiens, écureuils et sommes surveillés de près par un calao à bec jaune. Nous avons clairement la sensation d’avoir pris leur place !
Nous regrettons de ne pas voir d’éléphant. Les rangers nous disent qu’ils ne les ont pas vus récemment, qu’ils sont sans doute plus au nord… De toute manière, les prochains jours leur sont complètement dédiés, car l’itinéraire est fait pour les pister et les rencontrer, néanmoins, il nous faudra de la chance.
Le soir, la montagne se montre sous un ciel brûlant, et son nom n’est pas galvaudé. Le spectacle est magique. Nous trouvons après ces belles images, un sommeil paisible, sous les étoiles.
Au petit matin, nous rencontrons Helmut, un ranger de l’ethnie damara, très sympa qui nous adopte d’emblée. Il passe ses journées à sillonner la région et à recenser les éléphants. Il entraîne dans ses balades les quelques touristes qui passent dans la région. En s’arrêtant avec son « taxi-brousse » à côté de notre tente, il nous demande si nous n’avons rien entendu pendant la nuit.
Non rien?
D’un large sourire, il nous montre les traces de grosses pattes et les excréments tout frais d’un éléphant. Ils sont à l’aplomb de notre tente. Il nous a littéralement frôlés, mais… nous n’avons rien perçu! L’éléphant quand il s’applique peut se montrer délicat. Il peut tourner autour des tentes levant les pattes très subtilement pour ne pas se prendre dans les cordes qui la tendent. En ce qui nous concerne, il n’a pas fait de bruit… Du moins cette nuit!
Nous partons avec le ranger, il s’aventure dans le lit de la rivière asséchée et la remonte vers l’est. Nous découvrons les décors majestueux de granit sur fond de Brandberg. Puis, Helmut s’arrête. Il pointe du doigt un bosquet… Une trompe s’en échappe. Non loin, un jeune semble se cacher… Puis un gros traverse la piste! Nous les voyons! Ils sont là, partout, tout autour. Les mamans jeunes et moins jeunes entraînant leur petit. Les mâles sont autour des familles.
Nous passons la matinée à observer la famille d’éléphants qui évolue d’une rive à l’autre de l’Ugab.
Au retour au campement, nous retrouvons nos affaires sens dessus dessous… Les vaches, ânes et biquettes ont dû s’en donner à coeur joie. Du moins c’est ce que nous pensons.
Dans l’après-midi torride, nous entendons des craquements d’écorce à l’arrière du camp. Et nous découvrons un gros solitaire qui secoue les arbres pour en obtenir les graines.
Cet éléphant sera le héros de notre prochain blog …
À suivre…
L’escale en photos :
L’escale en vidéo :
Nat & Dom
Texte et photos Nathalie Cathala.
Auteurs des vidéos : Dominique et Nathalie Cathala, montages Dominique Cathala
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Sources bibliographiques
https://www.rtbf.be/tv/emission/detail_le-jardin-extraordinaire/actualites/article_l-elephant-du-desert?id=8922323&emissionId=30
https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/les-elephants-de-namibie-seraient-d-excellents-meteorologues_100386
http://www.grandeurnaturesafaris.com/fr/elephant-du-desert.php
Commentaires Calao à bec jaune : http://www.oiseaux.net/oiseaux/calao.a.bec.jaune.html
http://www.lemondedukenya.com/Fiche_anim-2-29.html
Bonsoir, super article merci !!!! Plein d’infos très pertinentes! Auriez vous gardé les coordonées de Helmut? Auriez vous des conseils pour avoir la chance de voir ces éléphants? Merci, Maeva.