Bonjour,
Le Vanuatu offre l’une des plus grandes densités linguistiques au monde. Avant la venue des Européens, le plurilinguisme était le garant de l’existence des clans, de leur culture. Toutes ces langues vernaculaires sont d’origine austronésienne, comme le sont les langues de tous les archipels du Pacifique, mais pas seulement! Car saviez vous, que le creuset austronésien s’est expatrié aussi dans l’océan Indien et jusqu’à Madagascar? Au Vanuatu, toutes les langues étaient placées au même niveau et rassemblaient au plus, 1000 à 2000 locuteurs.
L’arrivée des premiers Européens et leur établissement au Vanuatu, engendra une nouvelle notion, celle de « grandes langues » par rapport aux petits idiomes locaux. Deux langues européennes (ex langues coloniales) le français et l’anglais sont venues se greffer dans la structure sociale du Vanuatu qui jusque-là s’arrangeait de son pluralisme. Mais les nouveaux venus, incapables d’apprendre chaque langage, ignorants de la diversité culturelle, eurent besoin d’homogénéiser, de rassembler les clans autour d’une unité linguistique. L’intercompréhension générale ne fut possible qu’avec la création d’une base lexicale simplifiée de l’anglais et dans une moindre mesure du français. Cette base donna naissance au bichelamar devenu par la constitution de 1980, langue officielle du Vanuatu. C’est le seul cas au monde d’un pidgin officiel.
La grande question actuelle est : le bichelamar sera-t-il responsable de la mort progressive des langues vernaculaires?
Il est de bon ton « dans les milieux autorisés » (comme dirait ce cher Coluche) d’affirmer que les langues vernaculaires sont condamnées. Lorsque nous étions aux Marquises, nous avions croisé le sillage de « Fleur australe », le bateau de Poupon qui navigue, sponsorisé par le ministère de l’Environnement et EDF-Suez (!) En Polynésie, la petite famille ne s’est pas fait que des amis, et je dirais que certains Marquisiens n’ont toujours pas digéré un article du blog de Madame « Fleur Australe ». Après son passage à Hiva Oa, elle a écrit dans son blog que la langue marquisienne était moribonde et que » dans le monde 200 langues disparaissaient tous les quarts d’heure ». Les Marquisiens, fiers de parler la langue de leurs ancêtres, fiers d’être encore capables de répéter par coeur leur généalogie, ne décoléraient pas. Ils avaient accueilli le couple et les enfants, leur avaient ouvert les portes de leur culture, et ils repartaient avec une idée préconçue que la réalité n’avait pu gommer. Comment pouvait-elle parler de la « survie » d’une culture après avoir assisté aux cérémonies d’accueil, après avoir entendu parler en marquisien les enfants, parents et grands-parents? En discutant avec nos amis, nous avons conclu que c’était la plus grosse bêtise qu’elle avait pu écrire, ou transcrire, car à ce rythme-là (« 200 langues disparaissent chaque 1/4 d’heure »), nous serons tous muets à la fin du mois!
Reportages, articles scientifiques ou se faisant passer pour tels, adorent sonner le glas des « particularismes », des « spécificités », et mélanger tous les êtres dans une abominable « mondialisation » qui fait de chaque individu la copie conforme de son voisin sans distinction!
Je crois rêver!
En réalité, ils généralisent à outrance. Ils sortent des statistiques grossières, émettent les grandes lignes inéluctables d’une évolution humaine et planétaire. Ils font tout simplement abstraction de la variété, de la complexité des facteurs sociaux qui imbriquent les clans, les cultures, les moeurs, les langues entre elles! A entendre ces oiseaux de mauvais augure, aucune langue austronésienne n’aurait survécu au passage de l’an deux mille. C’était écrit dans toutes les statistiques de la fin du siècle dernier. Et pourtant… Elles sont bien là, vivantes, parlées de la Polynésie au Vanuatu, elles existent bel et bien!
Comment vous convaincre que les prédictions, même scientifiques, ne sont pas pour autant le reflet d’une prochaine réalité?
Voici un exemple parmi d’autres. Dans le sud-est de Mallicolo les habitants parlaient le nisvai. En 1968, une étude classa cet idiome comme « moribond », car seule une vingtaine de personnes le pratiquait encore. Elles résidaient dans la montagne et le dernier village nisvai était composé d’un couple de personnes âgées, un jeune couple consanguin et le reste n’étaient « que » des hommes célibataires. Ceux-ci avaient des vues sur les filles du village de la côte. Mais le pasteur déclara que les hommes de la Montagne n’étaient que des païens indignes des filles de sa paroisse. Les Nisvai descendirent vers la côte, ils créèrent le village de Levetbao, se convertirent. Des femmes leur furent accordées. (…) En 1991, le nombre d’enfants de locution nisvai était si nombreux que le village demanda et obtenu une école. Le nisvai, déclaré moribond il y a 50 ans, est à présent une langue bien vivante et son nombre de locuteurs ne cesse de croître.
Cet exemple, pour vous prouver qu’il est vain de faire des pronostiques pessimistes. Des facteurs inattendus, ainsi que l’instinct de survie sont des paramètres inchiffrables. Aujourd’hui certaines voix s’élèvent et clament qu’en 2050 le Vanuatu comptera toujours 115 langues vernaculaires et autant de systèmes coutumiers.
A plus, pour découvrir d’autres horizons du Vanuatu
Nat et Dom
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