Résumé : Assistez à la naissance du petit frère namibien du Grand Canyon. Partez avec Jeck, le Nama, dans le désert du Karoo. Au programme : les couleurs somptueuses d’un lever de soleil dans le désert, les gorges profondes et spectaculaires du Fish River Canyon, un peuple, une flore et une faune aux remarquables capacités d’adaptation…
Bonjour,
Les Namibiens aiment considérer le Fish River Canyon comme étant le second plus grand canyon au monde. Ce classement est-il mérité lorsqu’on considère d’autres fractures spectaculaires du Monde (États-Unis, Chine, Jordanie, Groenland… peuvent prétendre au titre) ? Tout dépend du point de vue sur lequel on se place. La longueur du Fish River canyon varie selon les organismes entre 90 et 160 kilomètres, la plus grande largeur atteint 27 kilomètres et sa profondeur maximum est de 549 mètres. Lorsqu’on se tient au bord du point de vue principal, l’impression d’infini n’est pas une illusion. Il semble que ce long serpent ondule à perte de vue entre les déserts du Karoo (Le Nama Karoo sur la rive est, le Succulent Karoo sur la rive ouest), le dénivelé offre aux personnes souffrant de vertige quelques belles sueurs! Quel que soit son rang, il a gagné son titre de « petit frère », c’est certain!

Le deuxième plus grand canyon au monde, selon les Namibiens (cliquez sur la photo pour l’agrandir »)
Ne cherchons pas à classer le canyon namibien, et savourons tout simplement le plaisir de panoramas bouleversants. Au lever du jour, le ciel est prometteur…
Au premier point de vue nous sommes à une altitude de 800 mètres sur la rive est de la Fish River, mais sur l’autre rive notre regard porte sur les sommets de la chaîne des Huns qui culminent à plus de 1500 mètres et qui abrite une grotte très prisée des paléontologues dont nous reparlerons plus tard. Ces montagnes me font l’effet de mirages. Elles restent parmi les endroits les plus difficiles d’accès de toute la Namibie.

Au premier point de vue, nous sommes à 800 m d’altitude, en face les Monts Huns gravitent à plus de 1500 mètres
Nous longeons la rive est du canyon. La route est exécrable et fait bougonner Dom qui craint pour les pneus! Mais chaque point de vue nous encourage à poursuivre notre chemin. Nous finissons à pied sur le petit sentier aux à-pics vertigineux. J’oublie la fraîcheur et le vent qui transperce mes vêtements. Le ciel pourtant flamboyant dans les premiers instants du jour s’est drapé d’un gris uniforme et terne. Pourtant, le spectacle reste magique par ses dimensions. Puis, lorsque le voile se déchire, la richesse des teintes explose. Nous passons plusieurs heures entre les différents points de vue, contemplatifs ébahis.

Au petit jour, le ciel gris « pastellise » le décor. Une vision surréaliste des méandres du canyon dans le petit matin froid. Au fond les Monts Huns dont les sommets dépassent 1500 mètres.
Un écosystème protégé
Le Fish River Canyon est protégé par l’office des parcs transfrontalier du ARTP, sigle plus facile à retenir que le nom qu’il cache : /Ai-/Ais Richtersveld Transfrontier Park. Le sud du canyon et les sources thermales portent le nom bizarre de /Ai-/Ais, les « / » sont là pour indiquer le « clic » de la langue Khoisan. Ce terme signifie « eau chaude ».
Il couvre 5086 km², dont 4420 km², en Namibie et le reste en Afrique du Sud. Le parc s’étend sur deux écosystèmes, celui du Nama Karoo et celui du Succulent Karoo. Ce dernier tient son nom des 6356 espèces de plantes vasculaires qui y ont été dénombrées ce qui en fait un désert exceptionnel par sa flore succulente la plus riche de la planète. Parmi les plantes recensées, 2 439 d’entre elles « sont uniques au Karoo succulent soit un endémisme de 38,4 %. De plus, la densité végétale est exceptionnelle avec 70 espèces pour une parcelle de 0,1 hectare. En comparaison, les Andes tropicales avec leurs 30 000 espèces de plantes ne possèdent pas plus de 19 espèces de plantes pour une même parcelle. Dans le Karoo, les conditions climatiques arides, très anciennes, ont permis une évolution lente et donc une meilleure adaptation des espèces à leur milieu. »

Dans les déserts du Karoo, les plantes succulentes adoptent des stratégies originales de survie. (Toutes les succulentes ne sont pas à classer parmi les cactus. Mais les cactus font partie de la grande famille des succulents.)
Les plantes succulentes adoptent un système de défense remarquable contre la sécheresse. Certaines stockent l’eau dans leurs tiges, racines et feuilles. Toutes les stratégies les plus inventives sont mises en place afin de lutter contre la sécheresse, ainsi certaines succulentes se maintiennent à l’état de bulbe tant que les conditions sont trop arides, d’autres parviennent, pendant la journée, à occulter chaque pore afin de réduire la déperdition d’eau, d’autres encore perdent leur feuillage. Parmi les solutions les plus originales, une des variétés de succulente observées crée un voile qui capte les grains de sable, se créant ainsi une armure contre le soleil et le sablage induit par les vents desséchants.

Les méandres du canyon s’enchevêtrent sur une centaine de kilomètres, creusant le haut plateau du désert du Karoo
Outre une flore riche et inventive, une faune étonnante s’est adaptée aux conditions. Sans compter les insectes, on trouve pas loin de 40 espèces animales réparties parmi les oiseaux, mammifères, poissons, reptiles…
Naissance d’un Canyon
L’histoire géologique du Canyon de Fish River est remarquable par sa très longue durée de formation qui remonte à 2 milliards d’années. Pour mémoire, la Terre est née il y a 4.5 milliards d’années. Les sous-sols sont composés de roches datant de l’époque du Gondwana. Des phénomènes tectoniques, volcaniques, climatiques et érosifs ont façonné les paysages que nous avons sous les yeux. La géomorphologie des lieux est constituée de plaines rocheuses et sablonneuses, de coteaux et de plateaux, de lignes de crêtes et de partage de drainage, vallées incisées et de cours d’eau éphémères, dont le Canyon de la Fish River, la rivière Orange, les monts Huns et les montagnes de Klein Karas.
Les plus anciennes roches se trouvent du côté de la frontière sud-africaine au bord du fleuve Orange et titrent 2 milliards d’années. Les plus jeunes se trouvent dans le Karoo (200 millions d’années), puis remontant le temps, dans le Nama les roches affichent 550 millions d’années et enfin dans le Namaqua (région occidentale qui borde l’Atlantique) les roches métamorphiques ont environ 1200 millions d’années. Cette richesse en fait le paradis des Géologues!

« La topographie des lieux se diversifie entre le canyon de la Fish River, des vallées (Konkiep et rivière Orange), les monts Huns et les montagnes Klein Karas. »
Il y a 1800 millions d’années, des complexes géologiques se présentent sous forme sédimentaire, et se déposent sur le plancher d’une mer peu profonde, dont je vous ai parlé à l’occasion de la rencontre avec Giel et ses fossiles de Mesosaurus (http://voyage.nat-et-dom.fr/2018/03/02/23778). Il y a 1500 millions d’années apparaît le lit de la rivière. Les traces sombres qui apparaissent dans le canyon sont l’oeuvre d’une activité volcanique vieille de 800 millions d’années. Ce sont des « dykes » ou filons de roches résultant de l’incrustation de magma.
Il y a 350 millions d’années, le canyon commence à se creuser sous l’effet de l’érosion. Mais il n’est pas au bout de son évolution et contrairement à son Grand Frère le Grand Canyon des Amériques où le climat a joué un rôle crucial, ici en Namibie, ce sont les processus tectoniques qui ont majoritairement structuré le paysage. La région subit une période de glaciation dite Dwyka au Permien (-299 / -250 millions d’années). Les glaciers élargissent la vallée. Puis des épisodes tectoniques permettent l’élévation du continent africain en formation et forgent le canyon actuel, c’est le facteur majeur qui a donné naissance au canyon.
Le Gondwana commença à se lézarder il y a 210 millions d’années. L’Afrique et l’Amérique du Sud se séparèrent il y a 60 millions d’années. Les multiples fractures et l’apparition des rives continentales accentuèrent la pente de la rivière, renforçant sa force érosive. Aujourd’hui, découvrant à quel point la région est désertique, nous avons du mal à nous imaginer que l’eau a pu être abondante dans les temps les plus reculés. Et pourtant, à la faveur de soubresauts climatiques la Fish River a connu des débits capables de prendre le relais des événements tectoniques afin de poursuivre le forage du canyon. Ainsi, ces divers facteurs n’ont pas forgé un seul canyon, mais une superposition de canyons. Le mouvement des plaques a sculpté un premier canyon, et la rivière lorsque le débit y était abondant et que la pente fut accentuée a creusé au coeur de ce premier canyon tectonique son lit dans le gneiss ou roche métamorphique. (voir le dessin ci-dessous)

Cette coupe transversale du Canyon montre qu’il y a un canyon, dans le canyon. Le premier forgé par l’activité tectonique, le second creusé par l’érosion de la rivière.
Une rivière dans un désert?
La Fish River est la plus longue rivière de Namibie (environ 650 km de bout en bout, dont 90 à 160 km de canyon). Aujourd’hui, elle coule par intermittence, avec un pic en fin d’été. À l’étiage, il ne reste qu’une succession de piscines où l’on trouve malgré ces conditions un biotope étonnamment riche en poissons. La partie sud de la rivière dépend d’une pluviométrie de 50 mm d’eau par an, tandis que le nord les bonnes années n’espère pas plus de 100 mm par an. En comparaison, sachez que Météo France a enregistré lors d’événements majeurs en France métropolitaine des intensités qui atteignent et dépassent 100 mm par heure. Or la pluviométrie annuelle de la région sud du Fish River Canyon ne dépassera jamais cette pluie mesurée en une heure.

En période de sécheresse, il reste au fond du canyon quelques piscines dans lesquelles se reproduisent des poissons. Même en saison des pluies ou plutôt « moins sèche » la rivière ne retrouve jamais un flot continu.
Une présence très ancienne d’Homininés
L’homme est parvenu à s’installer et à survivre dans cette région, parmi les plus arides du globe.
Des fouilles ont mis à jour des outils de pierre datant de 2 millions d’années. Ils sont la preuve de la présence d’Homo erectus (ou Homo ergaster selon les théories). D’autres fouilles au sein des montagnes Huns, dans la grotte Apollo 11 ont démontré une présence humaine datant de 70 000 ans. Des roches gravées par les KhoiKhoi il y a plus de 2000 ans ont été également découvertes. Ces différents indices prouvent que la région fut habitée par les Homininés tout au long de l’âge de Pierre. La région aurait donc vu l’évolution de nos ancêtres passant de l’homo erectus (celui qui se lève) à l’homo sapiens (l’homme moderne).
Les premiers premières tribus reconnues comme pionnières de la région sont les San (Bushmen). Grâce à leurs peintures rupestres, les ethnologues font remonter leur présence dans la région à des temps immémoriaux. Les Sans ont toujours vécu de la chasse et de la cueillette. Les Khoikhoi (à traduire par « vrais hommes ») arrivent d’Afrique du Sud et traversent la rivière Orange. Cette migration date de 2000 ans. Ils vivaient d’activités pastorales, ils étaient donc plutôt bergers-cueilleurs. Ces deux tribus sont regroupées sous le terme générique de Khoisan. Aujourd’hui l’ethnie la plus présente dans la région est celle des Nama faisant partie de Khoikhoi. Sans et Namas utilisent tous deux la langue à clics. De tout temps ces deux ethnies furent en compétition, les premiers rapports européens (1761) décrivent des scènes de combats opposant les deux groupes.

Nous rencontrons Jeck, qui se présente d’emblée comme appartenant aux Namas! Il en est fier et aujourd’hui il aime faire découvrir la terre de ses ancêtres aux visiteurs.
La colonisation allemande a décimé ces peuplades originelles. En 1903, le groupe Nama s’était révolté contre la présence européenne. Les Allemands basés à /Ai-/Ais exterminèrent la moitié de la population Khoikhoi. Aujourd’hui, plus aucun San ne vit dans le sud de la Namibie, seule une petite population de Nama est encore présente.
Une visite guidée
Nous finissons le séjour au Canyon par une visite de la réserve du Gondwana orchestrée par Jeck, fier de se présenter en tant que Nam. Le Gondwana Canyon Park couvre un territoire de 170 000 hectares au coeur du Nama Karoo. Au vu de cette superficie, nous n’en parcourons qu’une infime partie, mais nous y rencontrons pas mal d’espèces. Nous sommes témoins de l’habilité du Klipspringer (Oréotrague) à gravir les falaises rocheuses, il évolue du bout de ses sabots sur les rocailles les plus instables, afin d’échapper aux prédateurs. Dans l’ombre des formations de granit, nous distinguons quelques dik-diks tout aussi rares que les précédents. Et puis, nous observons des grands koudous, des oryx, des springboks et quelques zèbres qui prennent la pause dans le soleil couchant. Au détour d’un point d’eau la carcasse d’un zèbre, nous rappelle que les conditions ici sont parmi les plus arides de la planète.

Klipspringer (Oréotrague) Petite antilope de 60 cm au garrot. Par ses allures et sa manière de se déplacer, il nous fait penser à un chamois. La pointe de ses sabots est particulièrement bien adapté au déplacement dans les montagnes rocheuses.
Notre histoire en photos
(En cliquant sur les photos du texte ou de l’album, vous les découvrirez en taille « originale »)

Entre Keetmanschoop et le Fish Rive Canyon, au coeur du désert. Sur la piste de l’eau ! Depuis 2 semaines nous n’avions plus vu d’eau fraîche couler ! Tout ce vert et cette eau nous paraissent irréels, presque « incongrus »

Des palmiers, des vignes… du VERT !!! Impensable au milieu de ce désert, et pourtant ils l’ont fait : Une retenue d’eau a été construite entre 1970 et 1972, du côté de Naute. L’eau est puisée dans un affluent de la Fish River, la Löwen River. Sa capacité est de 83 millions de mètres cubes. C’est la deuxième plus grande retenue d’eau de Namibie, elle dessert Keetmanschoop en eau potable, mais elle sert surtout à l’irrigation de plantation. On y cultive essentiellement des palmiers et de la vigne .

Au coeur du désert, une famille offre une pause, café, thé, et beignets de koudou ! De quoi reprendre la route requinqués !

Si aujourd’hui le confort est arrivé dans ces contrées les plus reculées, les habitants d’aujourd’hui n’oublient pas leurs ancêtres. De véritables pionniers.

« Des matériaux très anciens ont été couverts par une lente accumulation de sédiments. Au cours du processus, de lentes remontées de magma granitique les ont transformés sous l’effet de fortes pressions et températures en gneiss, amphibolite, schiste et granulite (il y a environ 1 200 millions d’années). Puis, il y a quelque 770 millions d’années, ces roches métamorphiques ont été recoupées par un magma doléritique sous forme de dykes sombres qui apparaissent en saillies dans les parois du canyon. »

Les plaines ne sont pas leur endroit de prédilection, dès qu’ils se sentent en danger, ils se réfugient sur les falaises les plus difficiles d’accès

Son pelage est rembourré en as de chute, mais il rate rarement son coup, … Il trouvera miraculeusement une place aux côtés de son comparse (Klipspringer (Oréotrague))

Formations granitiques érodées par le vent … Lors des tempêtes, elles subissent un véritable sablage

Des zèbres en fin de journée…

Dès qu’ils sentent que tout danger est écarté, ils s’arrêtent et nous observent, pour le plus grand bonheur de mon objectif
Retrouvez nos deux vidéos de cette escale sur notre chaîne youtube
le Canyon Village :
Le Fish River Canyon :
A bientôt,
Poursuivons ensemble l’Aventure en Afrique
Nat & Dom
Texte et photos Nathalie Cathala.
Auteurs des vidéos : Dominique et Nathalie Cathala, montages Dominique Cathala
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Sources bibliographiques
Certaines légendes de photos sont issues de Wikipedia
Les textes ont été inspirés
Des panneaux didactiques du Parc nationnal
https://fr.wikipedia.org/wiki/Canyon_de_la_Fish_River
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dyke
http://www.landscapesnamibia.org/fish-river-canyon/geology
https://fr.wikipedia.org/wiki/Roche_m%C3%A9tamorphique
Quel magnifique documentaire, riche de tout, des photos somptueuses, couchers de soleil à couper le souffle.. Je ne sais comment l’exprimer ! je ne suis pas à la hauteur devant tant de beautés ! c’est très émouvant tout ce que vous nous offrait avec tant de générosité.. Une merveilleuse odyssée sans frontières au fil du temps….. MERCI je vous embrasse, Dany
Merci Dany de ce merveilleux commentaire, tellement généreux!