Les équilibristes de la mer des Caraïbes

Yoles, Martinique, Diamant, Tour de Martinique
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Rédigé par Nathalie Cathala

Nomades dans l’âme, l’objectif et la plume de Nat se baladent partout : en voilier autour du monde, par les airs d’un continent à l’autre; par les routes sur les chemins du désert, en 4*4 (tente sur le toit), à vélo , à pied ou en paddle. Plume et objectif se rejoignent dans ce blog, pour partager leurs coups de coeur.

25 août 2019

Une vie harmonieuse et sereine est affaire d’équilibre

Nathalie Cathala

Bonjour,

Je n’avais jamais entendu parler de Yoles ailleurs qu’en Martinique, tant et si bien que je n’imaginais pas que ce mot puisse sortir du creuset caribéen. Erreur ! L’origine du terme se trouve dans le « Grand Nord », soit chez les Danois (jolle) soit chez les Néerlandais (jol). Ainsi, la yole nous vient des langues germaniques. Puisque nous faisons un tour linguistique, ne confondons pas la Yole, avec le Yawl. La première désigne une embarcation légère et longue munie d’avirons ou de voiles. Le second est un voilier comportant deux mâts dont le premier est plus haut que celui de l’arrière (l’artimon).

En 1884, Laperouse mentionnait dans son carnet de voyage : « Nos yoles, qui tiraient peu d’eau, furent affectées à la pêche du saumon dans une petite rivière qui en était remplie ». Renoir peignait en 1875 une yole à rame, sur le plan d’eau de Croissy-sur-Seine.

En mer des Caraïbes, l’ancêtre de la yole fut sans doute le moyen qui permit aux Amérindiens de franchir les canaux insulaires pour s’installer dans les îles. Ils construisaient leurs barques dans un arbre nommé le gommier (gomyé), qui donna son nom également à l’embarcation.

Peu à peu, le gommier rouge retrouve sa place dans les forêts martiniquaises

Le gommier a survécu à la disparition des Indiens caribes. Jusqu’en 1950, il était le bateau le plus utilisé pour la pêche en Guadeloupe et en Martinique. Si la nécessité de pêcher était le but premier de ces bateaux, les retours de pêche étaient souvent l’occasion de jauger les équipages. Ils s’affrontaient alors en régates.

Il faut imaginer ces équipages revenant de la pêche, s’affrontant en régate sur le plan d’eau pour arriver les premiers sur les marchés

Le gommier existe toujours en Martinique. Le bourg de Sainte Luce en reste l’un des fiefs traditionnels. Ce bateau ancestral, gréé d’une livarde (sorte de perche ou de vergue utilisée pour déployer une voile aurique généralement quadrangulaire), nous le voyons régulièrement fendre le plan d’eau du sud de la Martinique. Il ne sert plus désormais à la pêche, mais arbore fièrement les couleurs de la commune en compétition et lors de manifestations culturelles.

Aujourd’hui, le gommier de compétition se présente avec une voile aurique de 55 à 66 m². Cette surface déséquilibre le bateau, la stabilité en est assurée grâce aux « bwa dressé » sur lesquels les hommes d’équipage se hissent afin de contrebalancer le poids de la voile. Le nombre de « bwa dressé » dépend de la taille de l’embarcation, de la surface de la voile et des conditions météorologiques. Enfin, le gommier se dirige grâce à un gouvernail.

Le gommier se dirige grâce à un gouvernail, les « bwa dressé » servent à équilibrer le bateau

Dans les années 1940, un charpentier de la commune du François, conscient de la raréfaction de la matière première des embarcations de pêche, se lança dans l’assemblage d’une yole à mi-chemin entre la yole européenne et le gommier des Caraïbes. Le gouvernail cède la place à une grande godille menée par trois hommes de barre. La coque taillée d’un seul tenant dans l’arbre devient un assemblage de planches ou de bordés fixés horizontalement sur une ossature faite de membres (étrave, étambot, courbes, etc.). Les « bwa dressé » assurent toujours la stabilité de l’embarcation, tandis que les voiles peuvent atteindre 100m² de surface. Plus large, la Yole montre une meilleure stabilité que le gommier, elle supporte donc une plus grande surface de voilure. Tandis que la godille lui permet de passer plus facilement sur les hauts-fonds que le gouvernail du gommier.

La Saintoise a remplacé le gommier en Guadeloupe qui n’a pas adopté la yole, dans la phase de transition entre tradition et modernisme

Yole ou gommier, même si la première est réputée plus stable que le second, les équipages se retrouvent plus souvent qu’à leur tour au bain! Une saute de vent soudaine, une fraction d’instabilité, et la yole ou le gommier trempe sa voile. Il ne reste plus qu’à démâter en mer, à patauger et à envoyer sur la coque les plus léger, pour retourner la situation, qui procure aux concurrents une aubaine pour passer devant.

Ils disent ici : la yole ou le gommier a coulé!
En réalité, c’est plutôt un chavirage ou un dessalage ( Le chavirage ou « dessalage » d’un bateau intervient lorsque la position d’équilibre du navire n’est plus stable au niveau transversal.  )

En Guadeloupe, la yole ne remplace pas le gommier, c’est la Saintoise (barque stable munie d’un moteur hors-bord), qui prend le relais. Dans la seconde moitié du vingtième siècle, la Martinique demeure la seule île des Antilles à prôner la pêche à la voile. Au retour, les pêcheurs se livraient à une véritable régate, et le vainqueur était celui qui vendrait le premier son poisson. Cette « régate au poisson » se poursuivait le dimanche où des courses de yoles animaient les fêtes de patronales du François, du Robert, du Vauclin.

Une longue godille manœuvrée par trois barreurs, la yole supporte jusqu’à 100 m² de toile

Ces régates prirent tant d’ampleur que la Société des Yoles et Gommiers de Courses de la Martinique vit le jour en 1972. Elle avait pour mission d’organiser les compétitions, d’en fixer les règles, puis de les faire respecter. Tâche ô combien ardue! Lors des premières courses, les yoles mesuraient à peine 6.50 mètres de long. Depuis 1994, les longueurs obligatoires homologuées pour toutes les yoles sont de 10,50m pour une grande, 6,30m pour un bébé et 4m pour une mini yole. Ce sport est en continuelle évolution et trouve des appuis financiers dans les sponsors qui s’affichent sur les voiles aux couleurs flashi.

Chaque année au mois d’août a lieu le tour de la Martinique en yoles rondes. C’est le moment où toute l’île se réunit en bord de mer, pour saluer la performance de ces équipages qui n’ont pas froid aux yeux. Suspendus au-dessus des flots, bravant toutes les conditions au large, ils défendent avec passion et talent les couleurs de leur yole. Sur le rivage, les supporteurs enflammés suivent leurs chouchous. Une ambiance bouillonnante, pour un sport magnifique et haut en couleurs.

Place à présent aux champions dans cet album aux éclats d’embrun. N’hésitez pas à profiter de cette compétition « en grand », il suffit de cliquer sur le diaporama ci-dessous et vous l’aurez en pleine page…

Retrouvez la fête de la mer sur YouTube

Sources bibliographiques pour le texte
wikipedia
https://www.yoles-rondes.com/historique-yoles-rondes/
https://www.yole365.com/histoire/la-yole-dans-le-monde/
https://www.cnrtl.fr/definition/yole
https://www.bellemartinique.com/la-martinique/traditions/histoire-de-la-yole-ronde/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gommier_(bateau)

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